Nous trois ou rien

Avec « Nous trois ou rien », Kheiron, humoriste franco-iranien, rend un bel hommage à son père à travers un film à la fois drôle et poignant sur l’émigration et le vivre-ensemble.

Hibat Tabib, le père du réalisateur, est à l’époque un jeune étudiant qui mène une politique de contestation contre le régime totalitaire du Shah d’Iran.
En 1971, il est arrêté et condamné à dix ans de prison. Il en purgera sept durant lesquels il est torturé et enfermé au cachot sans jamais rien renier de ses principes.
Le sujet du film est grave et tragique mais il est traité avec légèreté, avec ce ton décalé qui étire les zygomatiques toutes les deux minutes, comme dans les stand-up que Kheiron, le réalisateur, pratique par ailleurs. Ainsi le Shah devient un personnage burlesque et grotesque, une sorte d’enfant gâté, incapable de percevoir les enjeux de ce qui est en train de se passer dans son pays. Kheiron trouve un ton original pour narrer la réalité de ce qu’a été ce régime dictatorial, et avec lui, le rire point toujours au bout des larmes et inversement.

Un dictateur pour un autre

A sa libération, Hibat rencontre Fereshteh, une jeune fille dont il tombe amoureux. Il la demande en mariage à son père, joué par l’irrésistible Gérard Darmon, ce qui donne lieu à une véritable scène d’anthologie. Très rapidement, les jeunes époux donnent naissance à Kheiron, mais leur bonheur est de courte durée. A l’arrivée de Khomeiny, ils se rendent vite compte que l’Iran a chassé un dictateur pour en imposer un autre et, en 1984, ils prennent la décision de fuir le pays, tous les trois. Ils fuient la persécution, parce qu’ils rêvent tout simplement de démocratie et de liberté et qu’ils l’ont revendiquée un peu trop fort. Voilà un exode qui en rappelle d’autres aujourd’hui.

Rire de tout

La seconde partie du film se passe en France, où la famille a finalement trouvé refuge et plus spécialement à Pierrefite-sur-Seine, dans la banlieue parisienne. Face au manque d’entraide et de solidarité, Hibat devient éducateur social et met toute son énergie à faire vivre ensemble des jeunes désœuvrés et des familles de cultures très diverses. Fereshteh, de son côté, tente également de sensibiliser les femmes et de les émanciper de la domination de leur mari. Le défi est de taille et le découragement fréquent. Mais Hibat en a vu d’autres…
Cette comédie, aux allures de conte universel, est à voir par tous et à montrer aux jeunes. Il évite aussi la sensiblerie pour trouver le second degré qui fait passer des messages l’air de rien.
« Les gens qui ont connu un gouvernement sous lequel ils ne se sentaient pas épanouis et en totale liberté, ont en eux un second degré naturel parce qu’ils ne se sentaient pas en totale liberté, ont en eux un second degré naturel, parce qu’ils ne peuvent pas tout dire à haute voix, confiait récemment le réalisateur à une chaîne de télévision française. Mais pour survivre, on est obligé de tout dire et de rire de tout ».

Nous trois ou rien, film de Kheiro,; Gaumont distribution, 2014.

Jean Bauwin
Source : L’Appel, Janvier 2016, n°383