L’anniversaire du petit Jésus

Un texte rédigé (à la manière du petit Nicolas) par Edmond Prochain

Après «la rentrée scolaire du petit Jésus» (à la manière du petit Nicolas) voici «L’anniversaire du petit Jésus» rédigé par Edmond Prochain.

title=Aujourd’hui, toute ma famille s’est réunie parce que c’était le 25 décembre et que tous les ans le 25 décembre c’est mon anniversaire.

Même si certains disent que c’est pas la vraie date de ma naissance, mais ma maman elle dit qu’à cause du recensement et de toute l’histoire de la place en crèche et de la fuite qu’il a fallu aller réparer en Égypte on ne sait plus trop mais tu sais mon agneau ça n’a pas vraiment d’importance parce qu’on t’aime et qu’on n’oubliera jamais de te le souhaiter. Et c’est vrai que c’est drôlement chouette d’avoir son anniversaire parce qu’on fait un bon repas et qu’on m’offre tout plein de cadeaux.

En plus, cette année, c’est la première fois qu’on le fête à Nazareth. Je sais plus si je vous ai déjà parlé de Nazareth, mais c’est la ville en Galilée où on est venus s’installer en revenant de l’étranger, parce que papa a rêvé de ne pas trop retourner en Judée. Et donc, pour fêter notre retour d’Égypte, tous mes cousins sont venus et même ma mamie Anne et mon papy Joachim qui passent leur temps à s’embrasser (c’est dégoutant mais je les aime bien quand même, surtout que c’est mamie Anne qui a appris toute seule à lire à maman). Il a failli manquer ma tante Élisabeth et mon oncle Zacharie, mais ils ont frappé à la porte juste quand maman et moi on terminait de mettre le couvert sur la table que papa a fabriquée exprès pour l’occasion.

Comme j’étais drôlement content que ma marraine arrive, j’ai traversé la maison en courant pour être le premier à leur ouvrir. En passant, j’ai quand même entendu un oncle dire à papa comme il est gentil et serviable ton fils… J’avais à peine ouvert la porte que mon cousin Jean-Baptiste s’est mis à sauter de joie dans tous les sens. Je sais pas trop ce qu’il a, mais ça lui prend à chaque fois qu’il me voit et je me demande parfois s’il ne perd pas un peu la tête.

– Vous avez fait bonne route ? papa a demandé derrière moi en arrivant.

– M’en parle pas ! mon oncle Zacharie a répondu en faisant en même temps une tête de quelqu’un plutôt content d’en parler. Figure-toi qu’à cause de travaux ils nous ont collé une déviation par Capharnaüm, ça nous a quand même rallongé d’une journée ! C’est de pire en pire, je te jure… Les Romains et la circulation, c’est vraiment pas ça.

Et c’est vrai qu’il avait l’air rudement embêté par cette histoire de déviation de Capharnaüm. Il paraît que cette ville c’est toujours le souk mais que je verrai bien quand j’irai à l’école là-bas.

– Comme tu as grandi, mon petit Emmanuel ! m’a dit ma tante Élisabeth en me décoiffant complètement avec sa main.

J’ai jamais tellement compris pourquoi, elle est la seule de mes tantes à m’avoir toujours appelé par mon deuxième prénom. Peut-être parce qu’elle veut me rappeler que comme elle est ma marraine elle n’oublie pas à quel point je suis spécial pour elle. Mais heureusement, maman est arrivée et elle a laissé mes cheveux tranquilles à la fin.

Avec Jean-Baptiste, on s’est enfuis rapidement et on a vu papa et tous les autres faire pareil, parce que quand maman et sa cousine Élisabeth se retrouvent, elles passent toujours trois heures à se saluer et à réciter des prières. En plus, ça m’arrangeait un peu de retourner dans ma chambre pour finir de m’habiller. Jusqu’ici, comme j’aidais papa et maman à préparer le déjeuner, j’avais juste mis une tenue de service avec un linge autour de la taille. Mais là, fini de faire le guignol : il fallait que je sois tout beau. Mon cousin a bien essayé, comme à chaque fois, de m’attacher les sandales, mais je me suis pas laissé faire.

– Et puis quoi encore ? je lui ai dit.

Du coup, il est parti bouder dans son coin en marmonnant tout seul et en mâchonnant une sauterelle qui trainait au fond de sa poche. Il est vraiment bizarre, mon cousin Jean-Baptiste.

Mais sa mauvaise tête n’a pas duré très longtemps, parce qu’on nous a assez vite appelés pour le déjeuner. Tout le monde s’est assis autour de la grande table toute neuve recouverte avec une nappe bleue avec des étoiles dessinées dessus.

L’oncle Zacharie qui est un bavard terrible (on m’a dit qu’il n’a pas toujours été comme ça et qu’à une époque il ne parlait même pas du tout, mais j’ai quand même du mal à y croire) il s’est extasié devant le travail très chouette de papa. Il en a profité pour raconter qu’il venait d’acheter un modèle à un marchand venu d’assez loin, dans le Nord-Ouest je crois, une table à monter soi-même, et qu’il lui a fallu presque une journée complète pour y arriver.

– Ces meubles venus de Scandinavie, c’est quand même pas tout à fait ça ! On dira ce qu’on veut, c’est vraiment pas dans leur culture et je doute qu’ils soient un jour doués dans le domaine…

Maman m’a demandé de bénir le repas avant qu’on commence à manger, pendant que Jean-Baptiste faisait le guignol en posant sa tête au milieu d’un plateau ou en aspergeant tout le monde avec l’eau de son verre. Moi, j’ai pris le pain, je l’ai béni un peu et je l’ai rompu pour le distribuer à tout le monde. Les autres m’ont regardé faire en silence et c’est vrai que ça faisait une scène terrible ! Je pense que je vais m’entraîner pour le refaire de temps en temps avec les copains.

Les grandes personnes ont raconté encore l’histoire de ma Nativité. Il faut dire que ma naissance, je ne sais plus si je vous l’ai raconté ça aussi, mais ça a dû être un sacré drôle de bazar, même si je m’en souviens pas du tout : le recensement, les auberges de la ville qui étaient pleines, l’étable, les bergers qui ont débarqué d’un seul coup… Cette histoire plait tellement que j’ai l’impression qu’on n’a pas fini de la raconter à tout le monde.

Maman avait préparé plein de lait et de miel, et puis aussi du pain de poisson comme j’aime bien. Au début elle avait eu l’idée de faire un méchoui, mais à force qu’on m’appelle mon agneau tout le temps je finis par ne pas tellement aimer qu’on mange du mouton. Même à la Pâque, ça me fait toujours pleurer. Et puis il y avait plein de petits plats drôlement bons avec plein d’aromates et du sel qu’on pouvait rajouter dessus si on voulait (j’aime bien le sel), parce que l’homme ne se nourrit pas seulement de pain, c’est vrai quoi, zut, flûte, nom d’un chien !

Un peu plus tard, maman m’a demandé :

– Tiens, Jésus mon agneau, on n’a plus de vin à table, tu pourrais aller en chercher ?

Et moi, ça m’a quand même bien ennuyé qu’elle me demande ça à ce moment-là, alors je lui ai répondu :

– Tu sais Maman, mon heure n’est vraiment pas encore venue…

Et puis on a éteint les lumières et on a apporté le gâteau en forme de bûche que papa aime bien (c’est lui qui a eu l’idée, et je suis sûr qu’un jour tout le monde va le copier), avec des bougies qui faisaient comme des langues de feu dessus, et tous les invités se sont mis à chanter : « Joyeux a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-an-niversaire ! » Je trouve ça très bête, ces voyelles répétées seize fois comme ça en milieu de mot. J’espère que ça ne va pas devenir une tradition.

Près de la table, il y avait un sapin avec une étoile accrochée au-dessus (j’aime bien mettre des étoiles partout le jour de mon anniversaire) et plein de cadeaux déposés en dessous. Il y avait un nouveau lit construit spécialement par papa, pour remplacer la paille qui me sert de couchette depuis des années. Maman m’avait aussi fait un petit oreiller très chouette, avec un épis de blé et une grappe de raisin brodés en point de croix dessus. Elle a dit qu’il fallait que j’en profite bien parce qu’on ne sait jamais ce que la vie réserve et que tu n’auras peut-être pas toujours quelque part où reposer ta tête, mon fils. Et puis il y a aussi le cadeau de mon papy et de ma mamie : un ânon et un veau, pour réchauffer ma chambre. Mes trois parrains de l’étranger m’avaient aussi envoyé des cadeaux. Là, pas trop de surprise : c’était les mêmes que d’habitude (des petites barres d’or, des bâtons d’encens et une boîte de myrrhe). Je les range dans un coin depuis des années, mais je ne sais pas tellement quoi en faire même si je leur écris toujours pour bien les remercier.

– C’est trop gentil, mais il ne faudrait pas qu’à la longue tous ces cadeaux nous fassent perdre le vrai sens de la fête ! a dit maman.

Moi, je trouvais ça plutôt chouette quand même de recevoir plein de cadeaux comme ça, et même je me disais que ce serait une drôlement bonne idée d’imaginer une fête pour s’en donner encore tout plein à un autre moment de l’année, mais je n’ai rien dit parce que j’ai bien senti que ce n’était pas tellement le moment de faire le malin, c’est vrai quoi, sans blague…

A la fin de la journée, on s’est tous drôlement embrassés en se disant plein de soyez prudents sur la route et tu nous écris tout de suite en arrivant, hein !

Mais ce qui est rudement bien, c’est qu’on revoit tout le monde dans quinze jours pour tirer les rois tous ensemble ! C’est une autre espèce de tradition que j’aime bien dans la famille parce que c’est toujours moi qui trouve la fève et qui suis le roi. Sauf que l’année dernière un cousin avait remplacé la couronne en carton par une autre pleine d’épine, et moi je me suis fait très mal mais j’ai été très courageux et je n’ai même pas pleuré. J’espère que c’est la dernière fois que quelqu’un aura une idée pareille : j’ai trouvé ça complètement nul.