Le monde change, certes, mais tu peux toujours aimer

Le monde change et on n’y comprend rien!
de Julien Devauriex

J’ai lu le livre de Julien Devaureix, « le monde change et on n’y comprend rien ». À la fin de cette lecture, ayant eu un gout d’amertume, je relis certains passages, j’en parle à ceux qui m’en ont recommandé la lecture, je lis quelques critiques littéraires. Tous sont unanimes, les constats menés par l’auteur du livre et du podcast sismique sont clairement exposés et d’une grande lucidité sur le monde. Effectivement, le constat est méthodique, scientifique, presque exhaustif. Pourtant une impression de néant demeure. Je vais devoir me pencher sur ce mouvement intérieur.

Un premier état de fait est que ceux à qui j’ai parlé du livre ont loué son développement, mais éludé ses solutions. Les conclusions de l’auteur — il le souligne lui-même — sont personnelles. Cependant, je me dis que si j’ai acquiescé à la démonstration, je devrais souscrire à son résultat. De toute évidence non. À la suite des entretiens qu’il a menés et de la mise par écrit de sa réflexion, Julien Devaureix nous explique qu’il n’est plus en quête de vérité ni même de sens. Puisque chacun est libre, selon lui, de donner le sens qu’il souhaite à sa vie, il est alors logiquement possible de ne pas lui en donner. Pas d’impératif d’action non plus : « celui qui sait voir l’inaction dans l’action et l’action dans l’inaction, celui-là est sage entre les hommes ». Enfin, l’auteur souhaite lâcher les idées de congruence et de cohérence.

Avec un peu de décantage, je retire deux idées avec lesquelles je suis en proie. La première, c’est un matérialisme : doctrine d’après laquelle il n’existe pas d’autres substances que la matière (s’oppose à idéalisme, à spiritualisme). La croyance n’est qu’imagination, la religion n’est que mythe. Autrement dit, si vous vivions dans l’eau et que rien n’a jamais prouvé l’existence de terre, il est alors vain pour le matérialiste d’imaginer une notion utopique telle qu’un rivage. En deuxième lieu, l’absence de sens, d’action et de cohérence me renvoie à l’idée de dissolution. Je rapprocherais volontiers cette manière de vivre avec les philosophies orientales, mais que je connais bien trop mal. Si l’on tire sur la métaphore, l’image qui me vient serait qu’au milieu des flots, il vaudrait mieux ne faire qu’un avec les vagues, plutôt que de lutter contre le mouvement de celles-ci. Il y a donc une cohérence entre dissolution et matérialisme. S’il n’y a pas d’utopie, s’il n’y a que la matière, alors oui, sans doute vaut-il mieux ne pas être en lutte permanente avec elle. Accepter son mouvement sans qu’il soit nécessaire d’en saisir le sens. Il n’y a effectivement aucune erreur de logique dans le développement de Julien Devaureix ni dans ses conclusions, mais je ne souscris pas au cadre dans lequel il se place. Alors quel est-il ?

Le livre est assurément scientiste. Un des invités du podcast de Julien Devaureix l’avait pourtant invité à prendre en compte les apports du cœur, de l’esprit, du corps et de la spiritualité. Alors que les épisodes du podcast ouvrent à la complexité du monde, le livre le réduit à une accumulation de vérités scientifiques. Les philosophes eux aussi avertissent pourtant sur le fait que la somme des connaissances, n’est pas la réalité. Sur le sujet, la question emblématique est : « Quel effet cela fait-il d’être une chauvesouris? » En effet, vous pourrez accumuler toutes les connaissances du monde, cela sera toujours insuffisant pour saisir la vie d’une chauvesouris. Pire, cela pourrait avoir l’effet inverse, en nous coupant de l’émerveillement et de l’émotion première devant le vol d’une chauvesouris.

Alors oui, effectivement le monde matérialiste dans lequel nous vivions vacille, devient instable, se complexifie, montre ses limites. Je comprends sans soucis que l’on puisse angoisser à sa vue et de manière inféconde, rester figé ou s’agiter. N’est-il pas temps d’ouvrir d’autres portes : celle de la résilience, de l’Amour, de la contemplation, de la compassion. Tendre une main vers un être humain ou vers le ciel n’a rien d’incompréhensible ni d’angoissant. L’idée reste la même depuis des millénaires même si nous aurons besoin d’être inventif sur la forme. Il sera certainement nécessaire de passer par des décroissances, des actions politiques, des changements radicaux. Mais pour les mettre en œuvre, sans doute faut-il garder une forme de foi ou d’utopie.

Olivier Caignet

Pour continuer la réflexion, je vous propose cette conférence d’Aurélien Barrau. Cet astrophysicien et philosophe invite au contraire de Julien Devaureix à s’arrêter sur le sens de notre société, à mener des actions fractales et à aller vers plus de congruence malgré d’inévitables dissonances cognitives.