Aniara et Passengers, quel avenir pour l’humanité?

Comparons notre planète avec un vaisseau en bon état de marche, mais dont personne ne connaitrait le cap. Que devrions-nous faire? Avant d’avancer trop vite dans ce texte, imaginez donc « être né sur un bateau à mille lieues de toutes côtes. Parti depuis des années, plus personne à bord ne sait vraiment d’où nous sommes partis et personne ne connait réellement la destination finale ». Cette situation m’a été soumise par mon frère Damien (vous pouvez lire son texte en entier ici). Il en imagine les conséquences. Pour ma part, je vous propose de revenir sur cette situation à l’aide de deux films : Aniara (2020) et Passengers (2016).

Si je saisis bien le propos de mon frère, comme beaucoup de nos contemporains, il nous invite à tenir une position raisonnable (que d’autres nomment aussi rationnelle). L’idée serait de prendre acte de ce qui est et de laisser de coté toutes hypothèses et croyances. Sur ce point, j’ai déjà proposé une vidéo invitant à considérer la croyance comme source de connaissance. En effet, même la science est faite d’espoirs, d’hypothèses et d’échecs. Ce n’est donc pas parce que la côte est hors de notre champ de connaissance qu’elle n’existe pas. Ce qui me questionne davantage est que cette vision rationnelle conduit à une certaine indifférence à notre sort final. Autrement dit, s’il est important de laisser le navire en bon état pour les suivants, le bateau peut couler sans que cela ne change rien. Damien se défend d’un certain désespoir et je veux bien croire qu’il le vit comme cela. Cependant, je pense aussi que si l’on n’a pas d’espoir, on ne peut désespérer. La situation telle qu’il la présente ne me semble pas désespérante, mais «inespérante».

C’est là que je vous invite à comparer les films Aniara et Passengers. Pas besoin de les avoir vu mais je risque de vous les spoiler un peu. Les deux films nous proposent une situation où les protagonistes savent qu’ils n’atteindront jamais vivants la destination prévue initialement. Cependant, il y a entre les deux films une grande différence. Pour l’un des vaisseaux, la destination semble carrément hors d’atteinte, il serait même déraisonnable de vouloir y parvenir. Pour l’autre, le vaisseau arrivera un jour. Pour ceux qui ont une certaine culture biblique, il s’agit un peu du peuple hébreu parti d’Égypte, mais dont aucun ancien ne verra la terre promise. Le dicton «l’espoir fait vivre» prend là tout son sens. Dans ces histoires, à minima, laisser le vaisseau en bon état est une bonne chose, mais qui ne prend véritablement du sens que s’il y a une destination, un projet, un espoir. Cependant, en voyant le film où la destination est hors d’atteinte, je me suis quand même demandé, un peu comme Damien, si le but ne pouvait pas simplement être dans le voyage et le moment présent. Nous pourrions imaginer un film où les habitants du vaisseau auraient fini par vivre sereinement leur situation et y continueraient leur branche de l’humanité. Ça ne se passe évidemment pas comme cela. Dans le film (et la réalité), certains objectifs individuels sont incompatibles avec le collectif (cf. Sans l’Amour nos valeurs sont vides). Il est limitant de croire que la somme de nos individualismes forme l’humanité, de croire qu’il suffit de faire de notre mieux individuellement. Il y a forcement du commun, du vivre ensemble qui prend la forme d’un mieux vivre ensemble et donc d’un espoir. Le film le plus tragique, relate malheureusement le désespoir, une incapacité à faire du lien ponctuée de quelques tentatives sectaires. Dans le film avec une happy-end, les personnages ont su prendre des risques (malgré quelques erreurs) qui dépassaient leurs prérogatives individuelles. Ils sont les Adam et Eve de leur vaisseau qu’ils retransforment en Éden.

Ce que je crois, c’est que nos espoirs et notre mesure sont un peu trop petits que pour que ça marche sur nos seules ressources. S’il y a tant de désespérance, c’est qu’il y a sans doute des espoirs dommageables. La posture croyante dans laquelle je me situe ne me fait pas croire en l’irrationnel, ne me fait pas espérer en une chimère, ne me voile pas la face avec un opium du peuple. Au contraire, je crois qu’une posture chrétienne me conduit à formuler des espoirs sans cesse plus ajustés à l’être humain, sans cesse plus exigeants et sans cesse plus lucides. Il n’y a bien sur pas que la foi chrétienne qui permette cela, mais c’est un autre sujet. Quoi qu’il en soit, la vie ne consiste pas à se priver d’espérance mais à chercher la bonne (quitte à se tromper parfois).

Olivier Caignet